1918-2018
La réhabilitation judiciaire de Jules Durand.
Cent ans après le prononcé de son innocence par la Cour de cassation, la réhabilitation judiciaire de Jules Durand est et reste incomplète.
Cette réhabilitation ne peut pas être que morale et mémorielle. Pour être complète, véritable et publique, elle doit reposer sur un travail historique et scientifique portant sur l’intégrité et les multiples composantes du processus judiciaire, et ce afin que l’affaire Durand ait sa place dans l’histoire de la justice et de la lutte pour les droits humains.
En 2018, année du centenaire du verdict de la Cour de Cassation, l’association des Amis de Jules Durand promeut cette démarche et s’y engage résolument par la publication de ce document d'information, de questionnement et d'analyse : De la justice dans l'affaire Durand.
Invitation à un travail historique et scientifique collectif qui reste à conduire.
L’affaire Durand : un processus judiciaire qui s’est étalé sur sept ans et neuf mois, un arrêt de la Cour d’assises de la Seine-Inférieure à Rouen et sept arrêts de la Cour de cassation, une condamnation à mort, une grâce présidentielle, une commutation de peine, une annulation de l’arrêt de mort, la modification législative d’un article du code d’instruction criminelle, le prononcé de l’innocence de Jules Durand, d’innombrables procédures et actes juridiques, une multitude d’acteurs impliqués (magistrats, avocats, président de la République, ministres de la Justice, députés…) Et malgré cela, pendant cent ans et aujourd’hui encore, aucune trace dans l’histoire de la justice française tant officielle, qu’académique. Aucun travail de fond, aucune recherche ni du monde judiciaire ni du monde universitaire, pour éclairer le rôle et l’action de la justice. Pourquoi ce silence : indifférence, désintérêt, freins, obstacles ?
Œuvrer à la réhabilitation de Jules Durand, c’est, en s’attachant aux dimensions historique, juridique, sociologique, politique et culturelle, décortiquer, analyser, rendre intelligible, lisible et visible le processus judiciaire le concernant.
Comment la justice a-t-elle été rendue à l’égard de Jules Durand, sur quels fondements juridiques et autres ? Pourquoi la justice a-t-elle été rendue ainsi ? Quelles sont les erreurs et les fautes commises par des magistrats et pourquoi ? Comment s’est construit juridiquement, le processus de reconnaissance de l’innocence. Comment a fonctionné, ou dysfonctionné, l’appareil judiciaire ? Quels ont été les freins, les impulsions en son sein, les pressions extérieures, l’impact du contexte historique ? Pourquoi le processus a-t-il été si long et si semé d’embûches ? Qui sont ces hommes (puisque, en l’occurrence, seuls des hommes sont concernés) qui ont œuvré, individuellement ou collégialement, pendant ces sept ans et neuf mois. De quelles compétences et éthique professionnelles sont-ils porteurs ? Que disent leurs actes de leurs représentations, de leurs valeurs ? Dans quels réseaux institutionnels et sociaux évoluent-ils ?
Pourquoi le prononcé de l’innocence ne s’est-il pas accompagné d’une digne prise en charge financière de Jules Durand, à court et à long terme ? Pourquoi le préjudice moral et matériel n’a-t-il pas été reconnu et réparé le 18 juin 1918 par la Cour de cassation, ni financièrement, ni symboliquement? Pourquoi l’affaire Durand dans sa dimension judiciaire, contrairement à d’autres affaires, est-elle la grande oubliée de l’histoire ? Un siècle après le dénouement judiciaire, l’objet « De la justice dans l’affaire Durand » reste à étudier, c’est un passage obligé pour prétendre contribuer à la réhabilitation de Jules Durand. La tâche est vaste, mais stimulante. Ce document n’a pas cette ambition, il ne prétend pas, non plus, formuler des sujets pouvant faire l’objet d’études, de recherches ou de colloques. Son objectif est de réunir des informations « mises en forme » susceptibles de donner des points de repère, d’aiguiser la curiosité et l’intérêt, afin que soient définies des pistes d’étude et de recherche sur des problématiques diversifiées.
Sommaire
I - Juger et punir en 1910 : mise en contexte pénal et judiciaire de l’affaire Durand
II - L’affaire Durand : parcours judiciaire et juridique
III - La défense de Jules Durand
IV - Les dommages et intérêts accordés à Jules Durand par l’arrêt du 15 juin 1918
Annexe - Les magistrats de l’affaire Durand
[En cours de déplacement de rubriques.]
I - Juger et punir en 1910 : mise en contexte pénal et judiciaire de l’affaire Durand
Un biais à l’intelligibilité de l’affaire Durand serait de l’analyser à partir de notre cadre de référence actuel, une mise en contexte historique (juridique, politique, social, économique, culturel…) est donc requise.
I – 1 Le droit pénal applicable : le dispositif pénal mis en place par la Troisième République à la fin du XIXe siècle, le contexte sociopolitique du vote de ces lois, leurs principes fondateurs et leur contenu, leur utilisation pour réprimer la délinquance de droit commun et les acteurs des luttes sociales.
+ La réforme pénale des années 1885/1891 Elle traduit un regard criminologique qui distingue les délinquants par accident, des délinquants d’habitude ou de profession
- les lois Bérenger du 14 août 1885 relative à la liberté conditionnelle et du 26 mars 1891 relative au sursis à l’exécution de la peine.- la relégation : loi du 27 mai 1885 sur la relégation des récidivistes et la répression de l’errance (c’est en application de cette loi, que Charles Lefrançois co-accusé dans l’affaire Dongé, a été condamné à la relégation à l’issue de l’exécution de sa peine de huit ans de travaux forcés).
+ Les lois de 1893/1894 dites lois scélérates (qualificatif donné par Emile Pouget, Francis de Pressenssé et Léon Blum en 1899) - la loi du 12 décembre 1893 modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Suite à l’attentat de l’anarchiste Vaillant qui lança une bombe dans l’hémicycle de la Chambre des députés, vote très rapide d’une loi le 12 décembre prévoyant pour la presse, saisie et arrestation préventive en cas d’apologie de faits qualifiés de crime. - la loi du 18 décembre 1893 sur les associations de malfaiteurs. Répression de « l’entente », la loi permet de déclarer complice et associé d’un crime, des individus qui n’y ont pas, directement et matériellement, participé. - la loi du 18 juillet 1894, « tendant à réprimer les menées anarchistes » : délits de plume et de parole. La loi se présente comme une réponse à l'assassinat du président de la République Sadi Carnot le 24 juin 1894 à Lyon, par l’anarchiste italien Caserio. Elle muselle la presse et l'opinion en réprimant toute forme de propagande, anarchiste ou pas.
+ Les lois d’amnistie entre 1900 et 1914 Croissance et développement technique et économique exceptionnels, intensité des luttes sociales de la classe ouvrière pour les conditions de vie et de travail, l’émancipation et la dignité, accompagnée d’une répression policière et judiciaire, caractérisent le début du XXe siècle. Condamnation et détention pour délit de parole ou de manifestation, pour atteinte à la liberté du travail sont fréquentes pour les syndicalistes, les grévistes, les manifestants. Dans ce contexte de répression et de criminalisation des luttes sociales, les lois d’amnistie sont utilisées par les instances politiques comme un des moyens de gérer la question sociale. Dix lois d’amnistie sont adoptées entre 1900 et 1914, amnistie en matière de presse, de réunions, de faits de grève et faits connexes. (cf « Les luttes et les rêves » M Zancarini-Fournel Zones 2016 p. 508)
I – 2 Le système d’établissement de la preuve, la recherche de la preuve d’enquête à la fin du XIXe –début XXe siècle En France, le système d’établissement de la preuve de la culpabilité a connu une évolution à travers l’histoire. Après le recours à l’aveu comme preuve au début du XIXe siècle, ce sont les témoignages qui sont privilégiés en deuxième partie du XIXe et début du XXe siècle. Mais, très vite, en raison d’un pourcentage important de déclarations erronées, les limites du recours aux témoins sont énoncées, et cette méthode va peu à peu régresser au profit de la recherche d’indices et de preuves matérielles. La construction de la preuve, des preuves dans l’affaire Durand, est essentiellement fondée sur les témoignages, tant pour le dossier de Cour d’assises que pour les contre-enquêtes, enquêtes et instructions ultérieures qui alimenteront la suite du parcours judiciaire de Jules Durand. (sur l’évolution du système d’établissement de la preuve, cf les travaux de Frédéric Chauvaud, professeur d’histoire contemporaine Université de Poitiers, historien du droit, des peines, de la justice).
+ I – 3 L’organisation de la justice en 1910 et particulièrement les pouvoirs du parquet, les pouvoirs du juge d’instruction. Pour éviter de lire le rôle de certains acteurs judiciaires de 1910 (par exemple celui du procureur général de Rouen, Louis Gensoul ou du juge d’instruction du Havre, Georges Vernis) avec nos connaissances et représentations d’aujourd’hui, il convient de connaître leurs pouvoirs d’investigation, de poursuites…. 4 Association Les Amis de Jules Durand Christiane Marzelier, 15 juin 2018 Ainsi, les principes de l’instruction sont-ils en 1910, les mêmes qu’aujourd’hui (instruction à charge et à décharge) ? Rappeler que le lien de subordination entre le juge d’instruction et le ministère public n’a été supprimé qu’en 1958, le magistrat instructeur devenant alors un véritable magistrat du siège, indépendant et inamovible. Qu’en 1910, le parquet disposait de pouvoirs d’investigation en matière de flagrance (d’où est née la pratique de l’enquête officieuse)… (cf « Le juge d’instruction. Approches historiques » JJ Clère, JC Farcy (dir) Ed Université de Dijon 2010) A préciser également, quels étaient les droits de la défense, de l’avocat, en matière d’assistance de son client pendant l’instruction, d’accès au dossier d’instruction etc.… Sur l’organisation de la justice, voir si d’autres éléments de contextualisation sont utiles à la compréhension du processus judiciaire de l‘affaire Durand.
II - L’affaire Durand : parcours judiciaire et juridique
L’étude du parcours judiciaire et juridique de l’affaire Durand peut être déclinée en plusieurs sujets, selon que l’on privilégie une approche systémique ou l’angle thématique.
II - 1 Dans le cadre d’une approche globale, le long parcours judiciaire de Jules Durand, peut être reconstruit dans son déroulement chronologique en s’attachant à l’analyse, - de la succession d’actes, d’actions, de procédures, d’arrêts, fort nombreux et divers (emboîtement d’une mécanique juridique complexe), - du rôle d’une multitude d’acteurs dans et sur la construction de ce parcours judiciaire, des caractéristiques de cet ensemble d’acteurs (éléments biographiques, sociologiques, représentations), - du fonctionnement de ce système d’acteurs (accusés, acteurs internes au système juridico-judiciaire, influence des acteurs extérieurs, particulièrement des représentants de la Compagnie Générale Transatlantique et des défenseurs de la cause de Jules Durand). Cette approche peut permettre d’identifier et de caractériser les freins (ou les accélérateurs) internes ou externes audit processus, jusqu’à son achèvement en juin 1918.
Un peu en marge du cœur de l’affaire, et en lien avec les nombreux travaux menés à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, la deuxième partie du parcours judiciaire de l’affaire Durand fournit un matériau pour analyser le fonctionnement, entre 1914 et 1918, des institutions politiques et judiciaires dans une France, une république, en guerre pendant quatre ans. Et de s’interroger sur l’influence ou pas, de ces circonstances sur la longueur, les caractéristiques de ce parcours ainsi que sur le degré de solidité des institutions concernées.
II – 2 Des objets d’étude plus thématiques peuvent également être déclinés. Il en est de l’instruction initiale, des arrêts de la Cour d’assises de Rouen et de la Cour de cassation, mais également des actions et actes des instances institutionnelles que sont la présidence de la République, le législateur (la Chambre des députés) et le gouvernement, principalement le ministère de la Justice (les différents ministres de la Justice et la direction des affaires criminelles et des Grâces).
+ Les prémices judiciaires de l’affaire Durand *Les convictions du procureur général près la Cour d’appel de Rouen, Louis GENSOUL Dès les 10 (lendemain de la rixe et jour du décès de Louis Dongé) et 11 septembre 1910, le procureur général de Rouen est convaincu de la culpabilité de Jules Durand et des six autres interpellés.
Les deux télégrammes qu’il envoie au directeur des affaires criminelles en attestent (l’un le 10 à 19h45, l’autre le 11 à 17h22).
Sa conviction est acquise, il désigne les coupables de la mort de Louis Dongé, alors que le juge d’instruction du Havre vient juste de commencer son enquête.
« Dongé a été agressé et tué par des grévistes, qui ont été arrêtés. Cet assassinat a été prémédité par les trois responsables du Syndicat des charbonniers qui ont été également arrêtés et inculpés de complicité d’assassinat ». Ceci, grâce au directeur de la Compagnie Générale Transatlantique au Havre « qui croit savoir que la mort de cet individu aurait été votée dans une réunion de grévistes » (télégramme du 10). Conviction qu’il confirme dans deux rapports au Garde des sceaux : son rapport de cinq pages du 11 septembre 1910 (« Le procureur général en transport au Havre. Renseignements sur les circonstances de la mort du malheureux Dongé, tué avant-hier par des grévistes ») et son rapport de trois pages du 12 octobre 1910, dans lequel il rend compte au ministre, suite à la connaissance du dossier d’instruction (culpabilité de Bauzin, le quatrième agresseur, aussi nettement établie que celle de Mathien, Couillandre et Lefrancois. Complicité Durand, secrétaire du syndicat et des frères Boyer, membres du secrétariat du syndicat).
+ L’instruction de Georges VERNIS, juge d’instruction au Havre Dès les 10 et 11 septembre, le juge d’instruction partage-t-il les convictions du procureur général ? Est-ce lui qui alimente les convictions du procureur, ou sont-ils spontanément d’accord. Avec quelles précautions le juge Vernis prend-il en compte les informations fournies par le directeur de la Compagnie Générale Transatlantique ?
L’instruction n’est pas aujourd’hui, disponible dans les archives. Des archives périphériques permettent d’en avoir une approche partielle, par exemple, ce qu’en dit Jules Durand lors de ses entretiens avec Paul Meunier en janvier 1911 ; la présentation qu’en fait le procureur général dans ses rapports transmis au Garde des sceaux ; le procès d’assises. La suite du processus judiciaire permet, en miroir, d’approcher l’instruction de Georges Vernis, par exemple les informations dont on dispose sur la contre-enquête du substitut général de Rouen Raoul Bazenet, de début février 1911.
Qu’est ce qui sous-tend l’action et la démarche de ces deux magistrats, une même conception criminologique; une même aversion, peur, mépris pour la classe ouvrière; un même intérêt de classe qui va jusqu’à la connivence avec les dominants économiques, et l’acceptation d’en être le bras judiciaire armé?
Quels éléments de leur éthique professionnelle convoquent-ils : probité intellectuelle, impartialité, compétences, indépendance, obéissance à leur hiérarchie, souci de leur carrière… ?
Les jugements et arrêts rendus dans l’affaire Durand
+ Cour d’appel de Rouen - Chambre des mises en accusation, arrêt du 8 novembre 1910 Juridiction d’instruction du second degré, la Chambre par son arrêt de mise en accusation, saisit la Cour d’assises de Rouen du dossier criminel. Elle met en accusation et renvoie en Cour d’assises les sept prévenus, pour crimes d’assassinat et de complicité d’assassinat. La Chambre ordonne qu’ils soient écroués à la prison de Rouen (ils y sont transférés le 16 novembre). Président : Eugène HOUSSARD/Avocat général : Henri DESTABLE (pour le procureur général)/Conseiller : Charles Victor Edmond MERET.
Cet arrêt est essentiel car il valide sans réserve, l’instruction de Georges Vernis, juge d’instruction du Havre, à savoir ses moyens et méthodes d’établissement de la preuve de la culpabilité, la rapidité de l’instruction pour une affaire impliquant sept prévenus et les conclusions du magistrat . Il valide de fait, les conclusions hâtives mais décisives, du procureur général de Rouen, Louis Gensoul.
+ Cour d’assises de Rouen, arrêt du 25 novembre 1910 - condamnation à mort de Jules Durand - le procès d’assises le déroulement ( les témoignages à charge et à décharge, les accusés, l’accusation, la défense…) les acteurs (catégories, rôles, profils biographiques-sociologiques-culturels ….) 8 Association Les Amis de Jules Durand Christiane Marzelier, 15 juin 2018 -l’arrêt (sentence, attendus, réactions juridiques à la sentence) Président : le Conseiller Casimir MOURRAL/Avocat général : Henri DESTABLE
Jules Durand et Charles Lefrançois se pourvoient en cassation.
On est frappé aujourd’hui, par le délai très court (deux mois et dix jours) entre l’interpellation des sept accusés et leur comparution devant la cour d’assises. Tout comme par la durée de l’instruction: un mois seulement s’écoule entre le début de l’instruction et le rapport du procureur général de Rouen au ministre de la Justice (le 12 octobre 1910, « suite à la connaissance du dossier d’instruction »), moins de deux mois pour la saisine et la décision de la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Rouen. Ces délais sont-ils courants à l’époque dans des affaires comparables, ou est-on face à un cas particulier ?
+ Cour de cassation, arrêt du 22 décembre 1910 - rejet du pourvoi en cassation de Jules Durand et de Charles Lefrançois. - le vice de procédure plaidé par Me Mornard - les motifs du rejet du pourvoi Rapporteur : le Conseiller Georges LECHERBONNIER/Avocat général : François EON.
Dès le rejet du pourvoi en cassation, dépôt par Jules Durand, d’un recours en grâce auprès du président de la République. La peine de mort est commuée par le président de la République en sept ans de réclusion criminelle, décision du 31 décembre 1910 en fin de journée. Décret de commutation de la peine, en date du 3 janvier 1911. Campagne pour la révision du procès de Rouen et la libération de Durand. Au Havre, l’Union des syndicats et les membres du Comité de défense dénoncent la machination, ils se mobilisent pour trouver des preuves de l’innocence de Durand. Le député radical de l’Aube, Paul Meunier, mène sa propre contre-enquête au Havre en janvier 1911, il auditionne de nombreux témoins et acteurs, il conclut à l’innocence de Durand et décortique le processus d’établissement de la preuve conduit par l’instruction.
Paul Meunier, avocat à la Cour d’appel de Paris, se charge de déposer un pourvoi en révision. Le 16 janvier 1911, Théodore Lescouvé, le directeur des affaires criminelles et des Grâces, donne instruction au procureur général de Rouen de diligenter une enquête suite à la demande en révision formée par Paul Meunier, il suggère que l’enquête soit confiée au substitut général de Rouen Raoul Bazenet. L’enquête est effectuée au Havre début février, elle déconstruit la méthode d’instruction du juge Vernis. Le samedi 4 février, le procureur général de Rouen informe la direction des affaires criminelles du retour de Raoul Bazenet à Rouen la veille au soir, et indique « j’examine en ce moment le volumineux dossier, ne pourrai vous le transmettre avec les conclusions personnelles que vous me demandez, avant mardi prochain ». Le 8 février, par télégramme, le nouveau directeur des affaires criminelles, Paul Boulloche (en fonction depuis le 28 janvier), demande au procureur général de Rouen de lui « faire parvenir, sans autre retard l’envoi annoncé », avec la mention extrême urgence. Depuis le 4 février, la santé mentale de Jules Durand se dégrade. Le procureur général de Rouen transmet les procès-verbaux et les pièces de l’enquête au Garde des Sceaux (une lettre de 19 pages qu’il signe, les procès-verbaux et cinq cahiers d’enquête). Seule la lettre figure dans le dossier des Archives Nationales. Le 10 février, la direction des affaires criminelles salue « l’enquête très méthodique, très complète et très claire et qui a abouti à des résultats assez impressionnants » du substitut général Bazenet et émet un avis très favorable à la révision.
Le 12 février, Louis Turmel, député radical-socialiste des Côtes-du-Nord, demande à Théodore Girard, ministre de la justice, la suspension de la détention de Durand, en application de la disposition finale de l’article 444 du code d’instruction criminelle. Le dernier alinéa de cet article stipule que « si le condamné est en état de détention, l’exécution pourra être suspendue, sur ordre du ministre de la Justice, jusqu’à ce que la Cour de cassation ait prononcé et, s’il y a lieu, par l’arrêt de la cour statuant sur la recevabilité ».
La Commission de Révision des procès criminels et correctionnels instituée près la Chancellerie est saisie par le Garde des Sceaux. Elle est présidée par Jean-Marie Eloy DUBOIN, conseiller à la Cour de cassation, le conseiller Aristide DOUARCHE est désigné comme rapporteur. Le 14 février 1911, la commission estime qu’il y a lieu de saisir la Cour de cassation.
Le mardi 14 février 1911 à 18h55, par télégramme, le directeur des affaires criminelles, Paul Boulloche, informe le procureur général de Rouen Louis Gensoul des décisions du ministre de transmettre à la Cour de cassation la requête en révision et « par application de l’article 444 de suspendre la détention du condamné ». Il invite le procureur général de Rouen « à faire mettre Durand en liberté demain mercredi à la première heure».
Jules Durand est libéré le mercredi 15 février 1911.
Le 16 février 1911, les requêtes en révision et la lettre signée du Garde des Sceaux saisissant la Cour de cassation, sont déposées à la Cour.
Jules Durand est hospitalisé au Havre le 30 mars, et transféré à l’asile de Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen, le 4 avril.
+ Cour de cassation, arrêt du 7 avril 1911 Dans son audience du 7 avril 1911, la Chambre criminelle de la Cour de cassation statue positivement sur la demande de révision. Arrêt ordonnant l’instruction. Le procureur général saisit la Cour de la demande de révision, l’avocat général et le conseiller rapporteur concluent à l’enquête. « La rétractation de témoins entendus par le juge d’instruction et par la Cour d’assises s’étant produite, des inexactitudes et des contradictions multiples ayant été relevées dans leurs dépositions, la Cour a estimé que ces éléments constituaient les faits nouveaux prévus par l’art 443 §4 du code d’instruction criminelle donnant ouverture à la révision ».
La Cour ordonne qu’il soit procédé à une enquête par un conseiller à la Cour de cassation qui sera nommé ultérieurement. C’est le conseiller Jules Herbaux qui est nommé pour mener l’instruction. Procureur général : Manuel Achille BAUDOUIN/Avocat général : Joseph LENARD/Rapporteur : Jules HERBAUX.
Le conseiller Herbaux mène son instruction courant mai.
+ Cour de cassation, arrêt du 8 juillet 1911 (Chambre criminelle). La Cour entend en son rapport le conseiller Herbaux et décide « attendu qu’il est indispensable de rechercher si vers le 20 août 1910, époque où se sont produits les faits qui ont motivé la condamnation, Durand était responsable de ses actes », ordonne une expertise médicale par les docteurs Magnan, Vallon et Dupré, « à l’effet de vérifier, s’il est possible, le point sus-indiqué ». Président : Alphonse BARD/Rapporteur : Jules HERBAUX/Conseillers : Boulloche, Laurent-Atthalin, Duval, Le Grix, Petitier, Perchon, Paillot, Thibierge et Lecherbonnier.
Les trois médecins experts désignés sont Valentin Magnan, médecin chef du Bureau d’Admission à l’Asile clinique Sainte-Anne à Paris ; Ernest Dupré, 11 Association Les Amis de Jules Durand Christiane Marzelier, 15 juin 2018 médecin chef adjoint de l’Infirmerie du Dépôt de la Préfecture de police de Paris et Charles Vallon, médecin chef du Service des hommes à Sainte-Anne. L’appréciation de la direction des affaires criminelles, et de son directeur Paul Boulloche, sur cet arrêt, est la suivante « La Chambre criminelle tourne habilement la difficulté car si les experts concluent à l’état de démence au moment de l’action, elle se dispensera sans doute d’examiner le fond de l’affaire et de rechercher si Durand a tenu on non les propos incriminés ».
Que s’est-il passé entre le 7 avril et le 8 juillet 1911 pour que la Cour de cassation prenne un tel arrêt? Une fois le principe de la révision acquis le 7 avril, alors que la vérité sur la machination de la Compagnie Générale Transatlantique est mise à jour à travers la contre-enquête du substitut Bazenet début février 1911 et l’instruction du conseiller Herbaux de mai 1911, il semble que les instigateurs et responsables de la machination contre Durand jouent leurs dernières cartes dans une ultime manœuvre, pour éviter que leur responsabilité soit établie et rendue publique. Ou comment tenter de « récupérer » la folie de Jules Durand pour préserver leur image et leurs intérêts ? Saisir « l’opportunité » de la folie de Durand et essayer de faire établir que même avant son arrestation, il manifestait des signes de dérangement mental, ce qui serait une raison de ne pas examiner l’affaire au fond sur le plan judiciaire, et donc de ne jamais établir le rôle et les responsabilités des différents protagonistes . Des interventions ? Des pressions exercées, par qui, sur qui ? A cet égard, la presse qui soutient Durand est vigilante, elle se demande « que trame-ton ? » mais elle reste circonspecte. Comment interpréter cet arrêt ? La Cour a-t-elle été sensible à ceux qui avancent ce nouvel argument, cède-t-elle à des pressions ou agit-elle par prudence et veut-elle se prémunir contre toute possible erreur ? Malgré cela, les soutiens de Durand sont confiants. Mi-juillet dans Le Progrès du Havre, journal socialiste qui soutient la cause de Durand on peut lire « Nous sommes attentifs aux évènements qui vont surgir. Une délégation du Comité de défense s’est rendue à Paris, il y a peu de jours , pour conférer de l’affaire avec certaines personnalités du monde judiciaire et du monde politique. Elle était accompagnée du père de Jules Durand. Nos amis sont revenus parfaitement rassurés sur l’issue de l’affaire. Ils croient pouvoir dire que l’opinion des juges de la Cour de cassation est faite et que l’innocence du condamné à mort de Rouen ne fait plus de doute pour personne. » (Le Progrès 18 au 22 juillet 1911) 12 Association Les Amis de Jules Durand Christiane Marzelier, 15 juin 2018 En août 1911, le conseiller à la Cour d’appel de Rouen Raphaël Le Conte enquête, à la demande du conseiller Herbaux, sur les éventuels signes de dérangement cérébral de Durand, avant août 1910. Le 16 septembre 1911, Jules Durand est transféré à Paris à l’hôpital Sainte-Anne en vue de son examen mental par les trois experts désignés. En octobre 1911, les soutiens de Durand sont toujours optimistes et pensent que le procès en révision va avoir lieu rapidement, des « renseignements pris à bonne source » leur avaient permis de croire que le procès en révision aurait lieu début novembre 1911. Mais tel n’est pas le cas. Début 1912, les soutiens s’impatientent. En mars, le Comité de soutien effectue des démarches pressantes pour activer la révision. Mi-mars, le père de Jules Durand adresse une lettre au ministre de la Justice, pour qu’il intervienne pour hâter le procès en révision. Les trois médecins déposent leur rapport le 5 juin 1912. Le 14 juin 1912, afin de faire sa propre opinion, le conseiller Herbaux rend visite Jules Durand à Sainte-Anne. En juin 1912, le comité de défense, craint « qu’on veuille enterrer l’affaire Durand » et déplore les lenteurs de la justice « Ni nos efforts, ni notre patience n’ont servi de rien ». Paul Meunier intervient auprès du ministre de la Justice. Un meeting à l’initiative du Comité de défense, de l’Union des syndicats du Havre, du Parti socialiste et de la Ligue des droits de l’Homme se tient au Havre le 15 juin 1912. L’Union des syndicats appelle à la mobilisation pour la révision.
+ Cour de cassation, arrêt du 9 août 1912 – cassation et annulation du jugement de la Cour d’assises de Rouen Durand est « probablement » innocent. Un autre procès en assises doit donc avoir lieu, mais la Cour de cassation sursoit au renvoi à une autre cour d’assises, le condamné s’étant trouvé dans l’intervalle atteint d’aliénation mentale et interné. Président : le Conseiller Alphonse BARD/Avocat général : Séraphin MALLEIN/Rapporteur : le Conseiller Jules HERBAUX.
L’impression que Durand est innocent, se dégage de mon instruction, conclut le conseiller Herbaux, au terme de la longue présentation de son rapport. Les conclusions de l’avocat général Mallein vont dans le même sens « Je vous demande d’annuler l’arrêt du 25 novembre 1910 tant à cause de l’honorabilité des témoins à décharge et du peu de crédit que méritent les témoins à charge, que de l’invraisemblance d’une excitation au meurtre faite devant cinq cents personnes et dont les auteurs auraient attendu sans impatience vingt-huit jours, pour la mettre à exécution ». Le rapport des trois experts est présenté par le conseiller Herbaux. (cf journal L’Humanité 9 et 10 août 1912, le rapport n’existe pas dans les archives). Il conclut à l’absence de dérangement cérébral avant août 1910. En septembre 1912, retour de Jules Durand à l’asile de Sotteville-lès-Rouen, après l’annulation du jugement de la Cour d’assises de la Seine-Inférieure. Une longue période commence alors autour de la question de l’évolution de l’état mental de Durand. Une amélioration, une guérison est-elle possible, condition pour renvoyer Durand à un nouveau procès devant une autre cour d’assises. De nombreux avis sur l’état de santé de Jules Durand sont demandés à intervalles réguliers par les autorités judiciaires, au directeur-médecin chef de l’asile de Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen.
Sur le plan juridique, le député Paul Meunier (qui est également avocat près la Cour d’appel de Paris), défend la thèse selon laquelle, la Cour de cassation peut juger au fond sans renvoi. Il intervient auprès du Garde des Sceaux sur ce point. Sur initiative du Garde des Sceaux, le Procureur général près la Cour de cassation saisit la Chambre criminelle d’une demande tendant à ce qu’elle juge qu’il n’y a pas lieu à renvoi de Durand devant une autre cour d’assises, et à ce qu’elle juge elle-même sur le fond.
Cour de cassation, arrêt du 5 février 1914 - irrecevabilité des réquisitions du procureur général tendant au jugement de l’affaire Durand au fond et sans renvoi. L’irrecevabilité est basée sur ce que la Cour a été dessaisie par l’arrêt du 9 août 1912 et sur le motif qu’au surplus, la cassation sans renvoi et le jugement au fond en cas d’irresponsabilité pénale du condamné n’est possible, que si la Cour a acquis la certitude de l’innocence du condamné. Or, en l’espèce, l’innocence lors de l’arrêt de 1912 est apparue « comme probable mais non comme certaine ». Procureur général : Louis SARRUT (pour la cassation sans renvoi)/Rapporteur : le Conseiller Jules HERBAUX (il rapporte contre la cassation sans renvoi) Si Jules Durand ne retrouve pas la santé, juridiquement, il n’y a pas de solution pour qu’il soit rejugé.
Modifier le Code d’instruction criminelle devient donc nécessaire. S’engagent alors les travaux préparatoires en ce sens, au ministère de la Justice et à la Chambre de députés.
La loi complétant l’art 445 du code d’instruction criminelle est votée le 19 juillet 1917. Elle comporte un unique article : « Lorsqu’il ne pourra être procédé de nouveau à des débats oraux contre toutes les parties, notamment en cas de décès, de démence, de…, de un ou plusieurs condamnés… la Cour de cassation après avoir constaté expressément cette impossibilité, statuera au fond, sans cassation préalable, ni renvoi…
Si les accusés ou prévenus sont décédés ou tombés en état de démence depuis l’arrêt de la Cour de cassation qui a annulé le jugement ou arrêt de condamnation, la Chambre criminelle, sur les réquisitions du procureur général près la Cour de cassation, statuera sur le fond… » (c’est ce paragraphe qui est applicable à la situation de Jules Durand).
Le député Paul Meunier intervient immédiatement auprès du Garde des Sceaux pour que des instructions soient données pour l’application de la loi à la situation de Durand.
A la rentrée parlementaire (octobre, novembre), le procureur général près la Cour de cassation requiert la Chambre criminelle de statuer à nouveau sur la demande de révision, au vu des dispositions de la loi du 19 juillet 1917, pour obtenir un arrêt sur le fond.
+ Cour de cassation, arrêt du 28 février 1918. Pour la Chambre criminelle, les conditions d’application de la loi du 19 juillet 1917 sont attestées (certificat du médecin-chef de Quatre-Mares), la Cour peut juger au fond, sans renvoi. Il sera procédé à une instruction supplémentaire. « Vu le certificat délivré la 26 janvier 1918 par le directeur-médecin en chef de l’asile public d’aliénés de Quatre-Mares, duquel il appert que l’affection dont est atteint Jules Durand, doit être considérée comme n’étant pas susceptible de guérison ». Rapporteur : le Conseiller François PETITIER/Avocat général : Jean DELRIEU.
+ Cour de cassation, arrêt du 15 juin 1918 dit que la culpabilité de Durand n’est pas établie L’arrêt prononce l’innocence de Jules Durand et fixe la forme et le chiffre des dommages-intérêts. Président : le Conseiller André BOULLOCHE/Rapporteur : le Conseiller François PETITIER/Avocat général : Jean DELRIEU/et neuf conseillers.
Précisons qu’au terme de ce processus judiciaire, les faux témoins et les instigateurs de la machination n’ont jamais été inquiétés, que les magistrats du Havre et de la Cour d’assises de Rouen en charge de l’affaire Dongé, désavoués dès février 1911 par l’enquête du substitut Raoul Bazenet, ont poursuivi, sans encombre, leur carrière.
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Chaque jugement et arrêt requièrent une analyse pluridimensionnelle, juridique évidemment, mais aussi historique, socio-politique, culturelle, (et financière pour l’arrêt du 15 juin 1918), car dans ce long processus judiciaire, des enjeux multiples sont à l’œuvre, intriqués à l’enjeu essentiel de la reconnaissance de l’innocence de Jules Durand.
De tels travaux scientifiques (colloques, études…) devraient permettre, de définir les caractéristiques de « La justice dans l’affaire Durand » et d’éclairer, cent ans après, des éléments d’une problématique posée sur cette affaire, à savoir : machination/erreur judiciaire/crime social et judiciaire/rôle de contrôle social de la justice/dimension de classe/œuvre de justice/nature et degré de réparation morale et matérielle …
Et ainsi, peut-être apporter des éléments de réponse à une question que m’inspire ce qu’écrivaient en 1990, messieurs Pierre Drai et Pierre Bézio, respectivement premier président et procureur général près la Cour de cassation, dans la préface au catalogue de l’exposition du bicentenaire de la Cour. Ils indiquaient « Les juges de la Cour de cassation ont su toujours rester des « juges dans la cité »(…) rien ne leur est demeuré étranger, qui relève de la vie politique, économique, sociale, historique et morale de notre pays ».
Comment ce devoir de rester des « juges dans la cité » a-t-il été exercé à l’égard de Jules Durand, par l’autorité judiciaire et par chacun des magistrats concernés ?
+ Les actions et actes juridiques des instances institutionnelles.
+ Le Président de la République Quelles sont, en 1910, les conditions juridiques de l’exercice du droit de grâce du président de la République. Analyse politico-juridique de la décision du 31 décembre 1910 (le Président Armand Fallières, abolitionniste, aurait-il pu, juridiquement, prononcer une grâce totale ?). Cette décision « bâtarde », cette « demi mesure » dénoncée par les défenseurs de Durand, découle-t-elle de contraintes juridiques et/ou d’un choix politique ?
+ Le législateur L’affaire Durand a été à l’ordre du jour de la Chambre des députés à l’occasion, des questions posées au gouvernement, et plus précisément au ministre de la Justice, ainsi que pour la modification de l’article 445 du Code d’instruction criminelle (loi du 19 juillet 1917 complétant l’art 445 du Code d’instruction criminelle). Calendrier des questions au gouvernement, suivies de débat : - 10 février 1911, l’affaire Durand vient pour la première fois en débat à la Chambre sur la question de Paul Meunier au Garde des Sceaux, relative à la mise en liberté de Jules Durand. - 28 et 29 mars 1913 sur, comment saisir une juridiction de renvoi ou que la Cour de cassation se saisisse. - 11 juillet 1913, sur les mesures nécessaires pour faire régler, par une décision définitive de justice, l’instance en révision de Durand. - 4 mars 1914, suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1914 rejetant la possibilité pour la Cour de juger l’affaire Durand au fond, sans renvoi. Les débats à la Chambre revêtent avant tout un caractère politique, toutefois, de nombreuses données de l’affaire Durand présentent une dimension juridique et requièrent une maîtrise certaine dans ce domaine. A l’époque, de nombreux députés ont une formation juridique, beaucoup exercent une profession juridique (avocats, notaires, avoués…). Paul Meunier, député radical de l’Aube, par ailleurs avocat près la Cour d’Appel de Paris, est représentatif de cette catégorie de députés. En appui à son engagement politique dans la défense de Jules Durand, il mobilise son expertise juridique. De plus, faire la loi requiert cette aptitude juridique et la développe. C’est ainsi que Jules Siegfried, ancien maire du Havre, député à l’époque de l’affaire Durand, dépose le 6 février 1914 (dès le lendemain de l’arrêt du 5 février de la Cour de cassation), une proposition de loi tendant à compléter l’article 445 du code d’instruction criminelle en ce qui concerne la révision des procès criminels ou correctionnels dans l’intérêt des condamnés atteints d’aliénation mentale. Il fait là un acte avant tout politique (affichage de la volonté de trouver rapidement une solution législative pour sortir de l’impasse juridique afin de pouvoir innocenter Durand), mais qui se traduit par une proposition à caractère éminemment technique sur le plan juridique. A noter qu’il faudra plus de trois ans pour qu’une loi soit votée en ce sens (diverses raisons : interrogations sur l’état curable ou pas de l’état de santé de Durand, d’autres raisons à étudier). Les travaux parlementaires relatifs à l’affaire Durand, constituent un objet politico-juridique qui reste à étudier.
+ Le ministère de la Justice et particulièrement la direction des affaires criminelles et des Grâces
Les ministres de la Justice
Selon les membres du Comité de défense havrais, venus avec le député Paul Meunier, rencontrer fin décembre 1910, Théodore Girard, le ministre de la Justice, dans le cadre de la demande de grâce et de révision du procès, celuici aurait déclaré être fixé depuis longtemps sur cette affaire, « une rixe banale qui ne relevait que de la correctionnelle, comme coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Quid du rôle des autres ministres qui ont succédé à T Girard ?
La direction des affaires criminelle et des Grâces Les archives de cette direction déposées aux Archives nationales montrent un rôle diversifié de cette direction et de ses directeurs successifs, dans l’affaire Durand. - rôle technique traditionnel d’expertise juridique dans chaque étape du parcours judiciaire - rôle d’instruction des dossiers, de proposition et d’aide à la décision du ministre de la Justice - chef d’orchestre et interventions pour que se déroule le processus judiciaire (par notamment, la formulation de nombreuses instructions et saisine des parquets) - rôle pivot dans le système complexe d’acteurs de l’affaire Durand, tant internes (magistrats du parquet, du siège, acteurs politiques – présidence de la République, présidents du Conseil, ministres députés -), qu’externes (particulièrement les défenseurs de la cause de Jules Durand dans leur diversité – comité de défense havrais, syndicats, partis politiques, Ligue des droits de l’Homme – et probablement d’autres acteurs).
L’analyse et la caractérisation de l’action de cette direction, dans l’élaboration et la conduite à son terme du processus judiciaire, seraient riches d’enseignements. Je ferais l’hypothèse que, convaincue très tôt de l’innocence de Durand, cette direction et ses directeurs, ont joué un rôle positif en faveur de Durand. Mais encore faut-il le vérifier par une analyse historique critique, approfondie.