V - La presse


V - 1 La presse parisienne quotidienne (à caractère national)

En 1910, la presse parisienne quotidienne est très développée (nombreux titres, gros tirages « âge d’or de la presse »). Elle est en grande majorité républicaine conservatrice, voire réactionnaire (citons : L’Aurore 16 et 18 rue Notre-Dame-des-Victoires 2e, Le Temps 5 Bd des Italiens 2e, Le Journal 100 rue de Richelieu 2e, Le Petit Parisien, 18 rue d’Enghien 10e,  Le Petit Journal 61 rue Lafayette 9e, L’Echo de Paris 6 Place de l’Opéra 9e ….). 

 

Dans son ensemble, la presse nationale « couvre » l’affaire Dongé (rixe et mort de Dongé en septembre 1910 et procès d’assises à Rouen en novembre 1910) au début, comme un fait divers puis comme l’assassinat d’un jaune par des charbonniers grévistes sous influence des responsables du syndicat. Elle est à charge contre Durand et contre « la vaine agitation dont nous menacent les anarchistes de la CGT et les masses ouvrières…. ».

La commutation de la peine de JDurand par le Président de la République le 31 décembre 1910, les faits nouveaux apportés par Paul Meunier (son enquête au Havre de fin décembre 1910), la lettre du 22 décembre 1910, envoyée à l’ensemble des rédacteurs en chef de la presse française par la Comité de défense havrais de Durand demandant que les journaux relaient la demande de révision du procès et de mise en liberté (lettre publiée dans Le Matin du 26 décembre 1910 p 2), troublent certains titres de la presse conservatrice. Certains, comme L’Autorité, L’Aurore, La République Française, l’Action reconnaissent le droit à la révision, mais dans la paix sociale, contre la CGT, contre l’agitation ouvrière. Le Temps « ne parvient pas à se consoler de l’innocence de Durand » (dixit L’Humanité du 3 janvier 1911). D’autres maintiennent leur position ; ainsi, Le Petit Journal et l’Echo de Paris début février 1911, raillent les crises de désespoir de JDurand qu’ils accusent d’être un simulateur.

 

Le journal L’Humanité, journal socialiste, quant à lui, doute dès le début de la version « officielle » et documente les faits. Les articles de septembre 1910 en témoignent.

Le samedi 26 novembre 1910, l’Humanité titre « Le verdict de Rouen, un verdict de haine ».  Pour ce journal, l’affaire Dongé devient l’affaire Durand et L’Humanité n’aura de cesse de défendre la cause de JDurand. De grandes signatures socialistes (Jean Jaurès, Marcel Sembat) s’engagent à la « Une » ; des journalistes comme Pierre Renaudel, Alexandre Luquet surtout, enquêtent avec méthode pour réunir les preuves de l’innocence de Durand. Le journal relaie les initiatives multiples et diverses de soutien. La librairie du journal est un lieu de vente directe et par expédition, des cartes postales en faveur de Durand.

Le siège du journal, 16 rue du Croissant (2e,) est un haut lieu parisien de défense de la cause de JDurand, et ce, de 1910 jusqu’au prononcé de l’innocence de Durand en 1918.

 

Le Matin est un des quatre plus grands quotidiens dans les années 1910/1920, il tire à  700 000 d’exemplaires en 1910, il emploie 150 journalistes et donne la priorité à la nouvelle sur l’éditorial, au reportage sur le commentaire (journal dreyfusard). Son siège (rédaction, administration) est au 2, 4, 6 Bd Poissonnière (9e).

 

En septembre 1910, un envoyé spécial au Havre couvre l’affaire Dongé de manière approfondie, enquêtant auprès des différents groupes de protagonistes, sans prendre parti trop explicitement contre les responsables syndicalistes. De même, le journal couvre le procès d’assises à Rouen, avec un ton un peu condescendant pour les inculpés mais caractérise le verdict de particulièrement rigoureux. Dans les jours qui suivent le verdict, le Matin relaie les réactions au Havre, en France et à l’étranger. Les 24 et 26 décembre, il rend compte de la pétition d’un certain nombre de députés réclamant la grâce présidentielle pour Durand et ce, à l’initiative du député radical de l’Aube, Paul Meunier. A partir du 29 décembre 1910, le Matin devient la tribune de Paul Meunier dans sa défense de J Durand. 


V - 2 La presse syndicale et ouvrière, la presse libertaire, éditées à Paris

Il y a un foisonnement de publications syndicales, ouvrières et anarchistes dans les années 1910, à Paris et en province. 

 

La CGT dispose de divers organes de presse

La Voix du Peuple, publication hebdomadaire de niveau confédéral depuis 1900, 33 rue de la Grange-aux-Belles 10e, publie dans son numéro du 4 au 11 décembre 1910 un article signé de Léon Jouhaux (« Il faut le sauver ») et un d’Edouard Sené (« Un crime a été commis »). L’appel du Comité confédéral « Contre un assassin ! », y est également publié. La Voix du Peuple dans ses numéros ultérieurs, poursuit la mobilisation pour Durand (détail des meetings et actions dans toute la France, analyse du procès de Rouen…)

La Vie Ouvrière, revue syndicaliste bimensuelle, créée par Pierre Monatte en 1909, 42 rue Dauphine 6e publie, dès le 5 décembre 1910, un article de 24 pages de Cornille Geeroms intitulé « Pour l’Innocent Durand » où il démontre la machination dont Durand a été victime. Ce texte est édité en décembre, sous forme de brochure vendue 10 centimes, par l’imprimerie communiste L’Espérance, 1et 3 rue de Steinkerque 18e. « Les bénéfices seront  employés ou à une deuxième édition, ou versés pour la révision du procès Durand qu’il faut que nous obtenions. Puissent nos efforts communs rendre la liberté à notre ami, victime du capitalisme » Signé : Les camarades de « l’Espérance ».

En 1910, naît La Bataille syndicaliste, 10 Bd Magenta 10e, périodique syndicaliste révolutionnaire et libertaire, organe officieux de la CGT, il devient quotidien à partir de fin avril 1911. C’est également un relais de la défense de Durand.

De nombreux syndicats corporatifs, des chambres syndicales, les Universités populaires publient également des motions de soutien dans leurs bulletins.

 

La presse anarchiste éditée à Paris, est également très diversifiée et abondante, citons La Guerre sociale 8 rue St Joseph 2e, Des Hommes du jour (Annales politiques, sociales, littéraires et artistiques) 38 quai de l’Hôtel de Ville 4e, Le Libertaire, Les Temps nouveaux 4 rue Broca 5e, l’analyse de l’affaire Durand et des appels à la mobilisation y ont leur place.

Le repérage, le dépouillement et l’analyse de l’engagement pour JDurand de ces publications  très nombreuses, certaines éphémères, reste à faire.

 

Dans les exemples donnés par Chantal Ollivier en annexe à son mémoire de maîtrise, les articles s’insurgent contre le verdict de Rouen, attaquent violemment Aristide Briand « le traître », défendent la cause de JDurand, appellent à la mobilisation, apportent informations et analyses sur l’affaire.